Du conflit au litige : la traduction Juridique. La médiation mise sur la justesse.

"Il est effrayant de penser que cette chose qu'on a en soi, le jugement, n'est pas la justice. Le jugement, c'est le relatif. La justice, c'est l'absolu. Réfléchissez à la différence entre un juge et un juste." Victor Hugo 

Le conflit est complexe de par tout ce qui le compose :

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D'après le Larousse : Un différend est un "désaccord, une contestation résultant d'une différence d'opinion, d'intérêt, etc.". Un conflit (bas latin conflictus, du latin classique confligere, lutter) peut être une "lutte armée, combat entre deux ou plusieurs puissances qui se disputent un droit". Ou encore une "Violente opposition de sentiments d'opinions, d'intérêts."

Le conflit est généralement présenté avec davantage de gravité, ou une durabilité plus importante que le différend. Lorsque nous parlons de conflit, nous évoquons la plus part du temps une situation conflictuelle. A l'intérieur de cet état conflictuel se cumulent des différends liés à la durée de la situation et aux matières questionnées. Les conflits sont complexes.  Ce sont des "désordres" relationnels qui se structurent autour de combinaisons d'éléments antagonistes ayant traits :

aux identifications des personnes :

leurs représentations, leur histoire personnelle, leur personnalité, leur état psychologique, leur conscience, leurs valeurs, leurs croyances, leurs besoins, leur habitudes dans leur façon de relationner, leur mode de communication, etc.

à des fonctionnements :

des rôles ou des fonctions de personne au sein d'un groupe, la place de chacun et la  répartition des pouvoirs, des règles explicites ou implicites liés à des habitudes ou traditions, l'organisation des structures :comment sont prise les décisions, comment circule l'information, présence d'instance de régulation, d'espace d'expession, etc.

au sens politique des projets 

la raison d'être des projets, des organisations : l'éthique, la déontologie, le respect des ressources rares, lien avec des questions sociétales ou la préservation de la vie etc.

au contexte :

circonstances, 

L'affect des conflits brouille la perception des réalités :

Notre vision est, en amont du conflit, déjà colorée par nos propres filtres : notre personnalité, nos croyances, notre culture, notre éducation, nos sentiments, nos jugements, nos expériences etc. Chacun a les siens, les "frottements" sont inévitables.

Les conflits relèvent souvent de l'affect. Ils sont chargés en émotions comme la colère, la peur, la tristesse, la frustration, le dégout, etc., qui nous éloignent de l'empathie nécessaire à la compréhension de l'autre ou de la vision objective de la situation. En cas de crise émotionnelle (débordement émotionnel), le cerveau émotionnel (la zone limbique) du cerveau prend les commandes et occulte le fonctionnement du cortex, siège de la réflexion. En conséquence, la personne n'accède plus à la réalité de l'autre et à ses besoins réels à cet instant. Lorsque nous sommes envahis par les émotions, nous avons tendance à réagir à ce que nous pensons que la réalité est. Sous stress, notre système peut percevoir un danger réel ou "imaginé". Il arrive que nous réagissions de manière non rationnelle pour assurer notre sécurité. Par instinct de survie, nous adoptons des comportements tels que l'attaque, la fuite, ou l'inhibition. La relation est entravée par de l'incompréhension et des difficultés de communication.

Le conflit n'est pas violent en lui même. Son traitement peut être une opportunité :

Le conflit peut être exprimé ou au contraire rester silencieux. Il peut être traité dans le respect de chacun ou au contraire basculer en comportement violent à force d'escalade. Une personne peut souffrir du déni de conflit de l'autre. Le déni étant la fuite d'une partie au moins de  la réalité, la personne n'est pas reconnue (vue) dans ce qu'elle vit. Le conflit n'est pas violent en soi. La violence est l'une des issues possibles. La violence dépend donc du traitement, ou de l'absence de traitement, de ce conflit. Ne pas chercher à résoudre le conflit ou le fuir participe à une forme de destruction : perte d'énergie qui n'est pas au service de la vie, ni du bien être, risque d'escalade du conflit vers la violence. Le conflit n'est pas confortable, mais aussi inévitable lorsque nos diversités humaines se côtoient. Le conflit peut être constructif quand les énergies sont mobilisées à le réguler de manière non-violente. Cela permet la créativité nécessaire pour satisfaire les besoins de chaque personne. Cela représente une chance de progrès avec des opportunités d'apprentissage, de réalisation, de transformation, d'évolution vers un mieux être. La régulation de conflit permet de contribuer à une forme de croissance ou de déploiement de la vie grâce à la coopération. La non-violence invite à distinguer les faits, des ressentis, des pensées. Elle propose de se concentrer sur l'objet du conflit, de tenter de rétablir le dialogue. Elle invite à ne pas réduire une personne à son comportement. Elle propose de passer de l'adversité à l'accueil de l 'altérité.

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C'est quoi un litige?

Le litige est la traduction juridique du conflit. Pour qu'il y ait litige, il est nécessaire qu'une règle de droit puisse traduire la demande (la contestation du droit) en justice. 

L'article 4 du Code de Procédure Civile (CPC) établit que : "L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois, l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant". L'article 5 du CPC indique : "Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé". Notons que pour agir en justice et que la demande soit recevable, plusieurs conditions doivent être respectées : notamment avoir un intérêt à agir, la qualité à agir (c.-à-d. posséder un titre ou un droit) et enfin la charge de la preuve qui repose sur le demandeur. 

Si tel est le cas, alors la demande, le litige, pourra être tranchée en droit par le juge. Le juge se référera alors au droit positif, c'est à dire le droit écrit parfois également à la jurisprudence (avec subsidiairement le risque d'un Aléa judiciaire planant sur le demandeur). Le litige peut être également tranché par un arbitre (ou un tribunal arbitral) choisi par les parties elles-mêmes. Il peut faire l'objet d'une tentative de résolution avec la participation d'un conciliateur. Les parties prennent alors part à la recherche de la solution, sans forcément la trouver eux même, sans forcement la choisir eux même.

Le litige n'est que la surface de la situation, une petite surface visible du conflit. Le conflit est plus profond, il est sous et autour du litige. Il comprend entre autre les non-dits, les malentendus, les souffrances de chacun, le vécu des personnes, les rapports de force, les jeux de pouvoir (quelquefois inconscients). Trancher ou résoudre le litige n'apporte pas de réponse au conflit bien plus profond et complexe. Les difficultés relationnelles subsisteront.

S'intéresser au conflit pour résoudre un litige c'est se responsabiliser :

La médiation permet aux parties de rester actives dans la résolution du conflit et donc du litige qu'elles ont co-créé. Elles restent responsables de leur conflit (ou de leur litige). Elles ne s'en déchargent pas à un tiers (juge, arbitre, conciliateur). Elles prennent ensemble la responsabilité de sa régulation en vue de sa résolution. Tout en choisissant de s'en remettre à un professionnel qui va leur garantir un processus leur permettant cela. Le médiateur est celui qui va leur permettre de garder le cap vers la résolution. Il permet à chacun de pouvoir regarder et rester au contact de la situation, en accompagnant les affects qui brouillent les perceptions de chacun. Le médiateur CNV est celui qui permet à chacun d'entendre au delà des mots ce qui se vit et peut permettre à chacun d'appendre cela par imprégnation à son contact. A terme, le médiateur va permettre aux parties de co-créer des solutions, des réponses, de co-créer une nouvelle situation, ou de choisir en responsabilité de se défaire de la situation ou du lien. En responsabilité, parce que la médiation peut permettre à chacun de "se voir" dans ce qui a été co-créé à l'origine. Ce qui est une opportunité afin de ne pas reproduire une situation qui ne convient pas puisqu'elle fait conflit. En responsabilité, parce que les parties vont faire avec le conflit d'origine. Elles ne vont pas se précipiter et continuer à forcer avec des solutions, des positions, des fonctionnements qui sont au moins en partie à l'origine de la création de la situation, c'est ce que permet le la présence du médiateur. Se contenter de mettre fin à un litige ne permet pas cela. La relation et les affects ne sont pas abordés lorsque les parties se contentent de résoudre un litige. Chercher à résoudre un conflit permet d'aller beaucoup plus loin que la résolution d'un litige tout en permettant d'y mettre fin. La plupart du temps, la résolution d'un conflit éteint le litige, en tout cas en grande partie.

La véritable paix est indissociable de la Justice :

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Aujourd'hui, la paix sous-tend la justice, car la paix ne se réduit pas au règne de la loi et de l'ordre. Lorsque la justice n'est pas respectée, il y a conflit. La justice est essentielle à la co-existence humaine. 

A notre époque, la résolution des conflits passe donc par la justice. 

La justice est à la fois un principe philosophique à portée universelle, ainsi qu'un principe juridique et moral.

Qu'est ce que la justice? Les différentes formes du droit :

En termes philosophiques, la justice repose sur la dignité humaine et le droit naturel.

Selon le grand philosophe Paul Ricoeur: "quelque chose est dû à l'être humain du fait qu'il est humain" : la dignité humaine. Pour les philosophes des lumières, la dignité humaine est liée à la qualité de l'essence humaine et elle est donc la même pour tous. Tout être humain mérite un respect inconditionnel, peu importe qui il soit: son âge, son sexe, sa santé physique ou mentale, sa religion, son statut social, son origine, etc.

Le droit naturel est l'ensemble des droits que possède chaque personne dû à son appartenance à l'humanité. C'est en quelque sorte une conception idéal du droit lié à la dignité humaine. C'est l'ensemble de norme théorique prenant en compte la nature de l'homme doué de raison et sa finalité dans le monde.

La justice repose aussi sur la notion de juste en terme de justesse

La justice, en termes juridique et moral, connaît une certaine variabilité. Les institutions juridiques et le droit varient d'un état à l'autre.

Le droit positif est l'ensemble des règles posées, c'est à dire écrites. Il établit l'ensemble des règles qui régissent un Etat. Il émane d'une autorité habilitée à les édicter. Il s'agit de normes, de lois uniformes sur un territoire.

Au sein d'un état, la justice représente l'ensemble des institutions qui imposent le règne de la loi. Elle est jugée essentielle pour faire respecter les règles de l'autorité en place, qu'elle soit légitime ou non. La justice ne correspond pas toujours au principe philosophique en ce sens.

Une loi peut-elle être injuste? Nous pourrions citer Goethe: "il vaut mieux une injustice qu'un désordre". Pour Blaise Pascal "les lois n'ont pas à être justes, elles doivent surtout garantir la paix sociale. Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes car il n'y obéit qu’à cause qu'il les croit justes. C'est pourquoi lil ui faut dire en même temps qu'il y faut obéir parce qu'elles sont lois comme il faut obéir aux supérieurs non pas parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs".

Ce qui est légal (le droit positif) ne correspond pas parfaitement à ce qui est juste (le droit naturel) :

Nous pouvons observer que le droit positif n'est pas toujours conforme au droit naturel. Les philosophes des lumières aspiraient à un droit positif conforme au droit naturel.

Nous pourrions citer Antigone de Sophocle : "Je ne croyais pas, certes que tes édits eussent tant de pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non écrites, celles-là, mais intangibles. Ce n'est pas d'aujourd'hui ni d'hier, c'est depuis l'origine qu'elle sont en vigueur". C'est la première illustration d'une personne qui agit contre la loi au nom d'une loi supérieure pour un intérêt qui dépasse son propre intérêt.

En 1762, Jean-Jacques Rousseau écrit le pacte social, ouvrage de philosophie politique. Ce pacte établit qu'une bonne organisation sociale et donc la légitimité des états reposent sur les principes du respect d'égalité et de la liberté. Pour lui, un état juste et légitime garantit à chacun le respect de ce qui fonde la dignité humaine, à savoir la liberté.

Certains auteurs affirment que la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée le 10 décembre 1948 à Paris trouve sa source dans l'émergence du droit naturel et des théories du pacte social. L'article 1er de la Déclaration universelle des droits de l'Homme établit: "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité".

En France nous sommes dans un Etat de droit : hiérarchie des normes, séparations des pouvoirs :

En France, nous sommes dans un Etat de Droit. Le droit s'impose à tous y compris à l'état lui même. Notre état respecte une hiérarchie des normes et la justice est indépendante. Toute règle juridique d'un niveau inférieur ne peut pas contrevenir à une règle de niveau juridique supérieur.

En France, il y a une séparation des pouvoirs. Nous séparons :

  • le pouvoir exécutif (le gouvernement, les administrations) qui est chargé de faire appliquer les lois et définir la politique de notre nation
  • le pouvoir législatif (assemblée nationale et sénat) : il vote les lois et le budget de l'Etat. Il surveille le pouvoir exécutif
  • le pouvoir judiciaire/autorité judiciaire, qui assure l'application des lois dans le cadre du règlement des litiges. Les juridictions appliquent à la fois le principe de légalité, le droit positif, et respectent la hiérarchie des normes et le principe d'égalité, c'est à dire que les personnes juridiques doivent recevoir le même traitement. Afin d'assurer l'indépendance de la justice par rapport au pouvoir exécutif, les fonctions administratives et judiciaires sont séparées.

 

En France il existe deux ordres judiciaires:

  • le premier l'ordre judiciaire est celui qui règle les litiges entre particuliers. Au sein de cet ordre, nous distinguons les juridictions civiles et pénales
  • l'ordre administratif est celui qui règle les litiges entre l'administration et les administrés. Il est régi par le droit public et sous contrôle du conseil d'état.

La médiation est un pari sur la justesse :

En France, la justice est fondée sur la reconnaissance des droits naturels inaliénables et sacrés de chacun. Ces droits se trouvent assurés par le bloc de constitutionnalité situé en haut de la hiérarchie des normes. La médiation fait partie de l'offre plurielle de la justice, elle fait partie des modes de règlements amiables des conflits. La médiation est un processus qui respecte le consentement de chaque partie à chaque instant; il est souvent représenté comme un mode contractuel. 

La médiation est le seul mode amiable de règlement des conflits (MARC ou MARD)  qui fait à la fois intervenir un tiers et laisse la responsabilité de la solution aux parties. Elle fait partie de la justice participative car elle permet au personnes concernées de participer à la résolution de leur problème. Comme elle s'intéresse au conflit et à sa composition, la médiation est une "offre plus profonde" que ce qui est proposé pour régler les litiges. Elle permet beaucoup plus de justesse dans la sortie du conflit ou du litige, car les parties vont créer des solutions personnalisées en lien avec leurs besoins et la situation conflictuelle. Les solutions créées respectent le droit tout en étant bien plus proches des parties que la simple règle de droit tranchée par un tiers. La médiation permet une liberté de décision dans le règlement du conflit/litige, ce qui favorise la pérennité des accords.  

La médiation avec la CNV au plus proche des droits naturels ?

Nous pourrions considérer dans une certaine mesure que la médiation est une opportunité en terme de justice pour s'approcher plus près des droits naturels. Je considère qu'utiliser la communication non-violente est un pas supplémentaire en ce sens.

Date de dernière mise à jour : 18/04/2024